Avec le regain constaté de l’inflation à la fois aux Etats-Unis (ce qui entraine une hausse de l’inflation importée) et en zone euro, on pourrait s’attendre à ce que la réunion de la BCE le 10 juin prochain suscite un ajustement de politique monétaire. Il n’en est rien. La BCE, dont le Conseil des Gouverneurs est dominé par des colombes (partisans d’une politique de soutien durable à l’économie), devrait annoncer un maintien en l’état des dispositifs existants. Le vrai rendez-vous pour la paire EUR/USD est la réunion de rentrée du 9 septembre de la BCE. D’ici là, la volatilité devrait rester encore contenue sur la paire.
A quoi faut-il s’attendre à l’occasion de la réunion du 10 juin ?
- La BCE devrait ajuster à la hausse ses prévisions de croissance pour la zone euro en lien avec le rebond plus fort que prévu constaté de l’activité dans tous les pays européens ces dernières semaines.
Les PMI publiés pour le mois de mai ont notamment montré que le rythme de la croissance de l’activité dans les pays de la zone euro (hors France et Allemagne) est le plus rapide depuis début 2018 grâce à un bond record de la production manufacturière et à une augmentation de l’activité dans le secteur des services sans précédent depuis février 2018. Par conséquent, la BCE pourrait tabler sur une croissance plus forte, proche de 4,5% cette année – ce qui est honorable mais très loin des prévisions portant sur les Etats-Unis sur la même période (proche de 7 %). - La BCE devrait confirmer que le rebond constaté de l’inflation sur les derniers mois n’est que transitoire, d’où l’absence d’ajustement de la politique monétaire.
L’inflation, estimée par l’indice des prix à la consommation, a atteint le seuil symbolique de 2 % sur un an en mai dernier – soit au-dessus de la cible de la banque centrale. Toutefois, ce bond était largement attendu et reflète simplement la forte progression sur un an des prix de l’énergie. Le diagnostic de la BCE est que l’inflation a atteint un pic en mai et qu’elle devrait refluer au cours de l’été, ce qui devrait être confirmé par les prochaines publications. « Seule une augmentation soutenue des pressions inflationnistes, se traduisant par une tendance haussière de l'inflation sous-jacente et mettant l'inflation et les anticipations d'inflation en ligne avec notre objectif, pourrait justifier une réduction de nos achats », a indiqué Fabio Panetta, membre italien du Directoire de la BCE, il y a quelques jours de cela. On est très loin de la réalisation de ce scénario.
- La BCE devrait souligner que, même si la reprise économique est bien là, il faudra encore soutenir sur la longue durée les Etats (via les différents programmes de rachats d’actifs, appelés PEPP et APP) et les entreprises et les ménages (via notamment les mesures pour faciliter l’octroi de crédit, appelées TLTRO pour Opérations de Refinancement à Très Long Terme).
Un argument de poids en faveur d’une politique monétaire accommodante est le fait que le PIB n’est pas encore revenu à son niveau d’avant-Covid en zone euro (cela ne surviendra qu’au premier trimestre 2022) alors qu’aux Etats-Unis c’est déjà le cas depuis le deuxième trimestre de cette année. Dit autrement, la zone euro accuse un retard d’activité très important par rapport aux Etats-Unis qui traduit un retard dans le processus de vaccination et des mesures de soutien budgétaires plus limitées dans l’Union monétaire. - La BCE devrait annoncer un probable ralentissement des rachats d’actifs au cours de l’été, ce qui survient chaque année à la même période.
Selon Isabel Schnabel, membre allemand du Directoire de la BCE, il faut s’attendre à ce que les rachats d’actifs effectués sous le PEPP diminuent d’environ 15% en août prochain. Une fois encore, la flexibilité des mesures prises pour faire face à la Covid sera certainement mise en avant. - Enfin, la BCE devrait confirmer qu’en l’état actuel la politique monétaire est adaptée et que de nouvelles mesures (LTRO ou baisse des taux) ne sont pas à l’ordre du jour.
La réunion du 10 juin de la BCE s’annonce donc plutôt consensuelle, ce qui devrait se traduire par un impact faible sur le marché des changes, et notamment l’EUR/USD. La paire devrait continuer à court terme d’évoluer dans la borne située entre 1,21 et 1,23 (qui fait office de résistance depuis janvier 2021). A moyen terme, notre objectif reste toujours à 1,24 mais il n’y a pas de catalyseur bien identifié à ce stade pour permettre à l’euro d’accentuer ses gains face au dollar.
Le vrai rendez-vous est fixé en septembre
Pour les opérateurs du marché des changes, le vrai rendez-vous est fixé en septembre. Trois raisons à cela :
• Premièrement, la BCE aura suffisamment de recul pour savoir si son diagnostic concernant l’évolution de l’inflation se vérifie – ce qui est fortement probable. En outre, elle aura plus de données concernant l’évolution macroéconomique à venir. L’enjeu est d’éviter que la reprise forte correspondant à la réouverture des économies ne retombe comme un soufflé et que l’épargne forcée accumulée pendant les confinements ne se transforme en épargne de précaution. De nombreuses incertitudes doivent donc être levées avant que la BCE ne puisse envisager un ajustement de sa politique monétaire.
• Deuxièmement, c’est en septembre que la BCE doit dévoiler les conclusions de sa revue stratégique qui vise à ajuster les outils et les missions de la banque centrale afin de tirer les conséquences de la crise et de mieux accompagner la transition vers un modèle économique plus respectueux de l’environnement. A cette occasion, la BCE pourrait décider d’élargir son mandat, afin d’inclure aussi un suivi du marché du travail en plus de la stabilité des prix, suivant ainsi le modèle de la Fed. Il est évident que la pandémie et la reprise actuelle vont accroître les inégalités (on parle de reprise en K), ce qui va inciter la BCE à surveiller de plus près le marché du travail de la zone euro. En l’état actuel, les derniers chiffres confirment qu’une dose constante de soutien monétaire est nécessaire puisque le nombre de citoyens européens ayant un emploi est inférieur de 2% à son point haut de 2019.
• Enfin, le marché des changes attendra également une réaction de la BCE en septembre suite à la réunion de Jackson Hole de fin août – qui réunit chaque année les grands banquiers centraux du monde et devrait être l’occasion pour la Fed d’amorcer les discussions sur un tapering (ralentissement durable des rachats d’actifs).
Un regain de volatilité à venir pour l’EUR/USD ?
Si nous ne nous attendons pas à une volatilité importante sur la paire EUR/USD à court terme (la volatilité implicite à trois mois reste toujours très basse), nous n’excluons pas qu’elle ressurgisse à la faveur du découplage de politique monétaire entre les Etats-Unis et la zone euro à moyen terme. Les Etats-Unis sont plus avancés dans le cycle économique que la zone euro (comme en témoigne le différentiel de croissance) et très rapidement les discussions portant sur une normalisation de la politique monétaire aux Etats-Unis pourraient induire un regain de volatilité sur le Forex. D’où l’importance de bien prévoir une stratégie de couverture du change si cela devait survenir.
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