La lente dépréciation de la livre turque depuis 2013

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Depuis 2013, la livre turque a perdu près de la moitié de sa valeur face au dollar américain, évoluant proche de ses points bas historiques. Face à l’euro, la dépréciation est tout aussi importante. Ces dernières années, la devise turque a affiché une dépréciation beaucoup plus rapide que les autres monnaies.

FR_Turquie_Evolution des monnaies face USD
Depuis le début de l’année 2018, la baisse de la livre atteint près de 6% face à l’USD et 10% face à l’EUR. Historiquement, la devise de la Turquie a connu assez régulièrement de sévères phases de dépréciation mais, sur la période 2002 (qui marque l’arrivée au pouvoir du gouvernement Erdogan) jusqu’à la crise financière mondiale, elle a connu une inhabituelle stabilité en grande partie liée à la mise en œuvre d’un programme d’aide du FMI qui avait rassuré les investisseurs. 

 

Les raisons de la chute de la monnaie turque

La chute de la livre turque a commencé de nouveau en 2008 sous l’effet d’un regain d’aversion au risque des investisseurs qui se sont réfugiés vers le dollar américain et le yen japonais. Malgré la reprise économique mondiale qui est habituellement favorable aux devises émergentes, la phase de dépréciation de la livre a continué et s’est même accentuée récemment. Ce paradoxe s’explique par facteurs principaux :

  • La transition au niveau global d’une politique monétaire expansionniste (via les programmes de rachats d’actifs des banques centrales) à une normalisation de la politique monétaire qui s’accompagne d’une baisse de la liquidité sur les marchés financiers et qui se traduit par une hausse des taux d’intérêt et du coût du capital qui pénalise directement les pays emprunteurs les plus dépendants des marchés internationaux, comme c’est le cas de la Turquie;

  • La dynamique régionale s’est dégradée sensiblement en l’espace de quelques années avec la hausse du risque géopolitique dans la région (guerre civile en Syrie, conflit israélo-palestinien qui connait un regain, tensions avec les Kurdes et conflit avec l’Iran);

  • Des conditions monétaires accommodantes au niveau global (rachats d’actifs, taux d’intérêt proches de zéro ou négatifs etc…) qui ont stimulé la croissance du commerce international et le recours au crédit à bas coût par les ménages et les entreprises;

  • Le changement d’écosystème international par la Turquie est mal appréhendé. Les autorités se focalisent sur les élections mais n’ont pas de plan B pour faire face aux nouvelles conditions monétaires. En comparaison historique, la Turquie maintient des conditions monétaires souples mais ce n’est pas toujours un choix judicieux dans un contexte de durcissement des taux au niveau mondial. Le risque en cas de mauvaise maîtrise de la situation monétaire est que le pays connaisse un scénario similaire à la crise des changes de mars 1994 qui se traduisit par une dépréciation rapide de 50% de la livre turque et la mise en place d’un plan d’ajustement économique douloureux. 

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Une baisse du taux de change qui devrait continuer à court terme

A court terme, la dépréciation de la livre turque devrait perdurer. La perspective d’élections législatives et présidentielle anticipées (fixées au 24 juin prochain alors qu’elles étaient initialement prévues en 2019) devrait inciter la banque centrale turque à maintenir inchangée la politique monétaire, ce qui devrait constituer un facteur de pression à la baisse pour la monnaie. Toutefois, du point de vue macroéconomique, le taux de change de la livre turque reste encore élevé par rapport aux fondamentaux économiques. Un récent rapport de l’Institut de la Finance Internationale évalue que la monnaie est surévaluée de près de 10%, même en tenant compte la récente chute. Une baisse du taux de change reste donc d’actualité, essentiellement du fait de la dégradation du déficit du compte courant qui s’accompagne d’une détérioration des conditions de financement pour les entreprises et d’une baisse de la part nette des entrées d’IDE qui est à son plus bas niveau depuis plus d’une décennie. 

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