Jean-Claude Trichet à l'iBanFirst Business Summit : les insights clés

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Le 11 décembre 2024, Jean-Claude Trichet, ancien président de la Banque centrale européenne, a pris la parole lors du Paris iBanFirst Business Summit. Au cœur de son intervention : la maîtrise de l’inflation, les disparités entre l’Europe et les États-Unis, et l’avenir de la dynamique européenne dans un monde de plus en plus compétitif.

 

Voici les principaux enseignements à retenir.

 

 

Reprendre le contrôle de l’inflation : un défi relevé, mais pas encore gagné

 

Après des années où l’inflation semblait appartenir au passé, la pandémie et la reprise économique post-Covid ont marqué son grand retour. Trichet a décrit comment les banques centrales ont répondu à ce défi :

 

Un « joli succès » pour les banques centrales

À la surprise générale, les banques centrales de la quasi-totalité des pays avancés, ont lutté contre l'inflation via des augmentations de taux d'intérêt successives. Contrairement aux craintes initiales, ces mesures n’ont pas déclenché de réactions négatives majeures.

 

En octobre 2024, l’inflation en Europe s’établissait à 2 % (contre 2,6 % aux États-Unis). Comparée au premier choc pétrolier des années 70, cette réussite est notable : « On avait alors laissé l'inflation galoper et elle s'était ancrée à 14%. Pour en reprendre le contrôle, il avait fallu que Paul Volcker arrive à la tête de la Banque centrale américaine et mette les taux d'intérêt courts à 20% ! Aujourd’hui, le plafond était de de 5% », a souligné Trichet.

 

Regarder l’inflation sous-jacente pour anticiper l’avenir

Jean-Claude Trichet note « un certain scepticisme » sur la capacité d'arriver à stabiliser les choses autour de 2% qu’il tempère ainsi : « si je prends la core inflation, c'est-à-dire l'inflation sous-jacente, alors les États-Unis sont à 3,3% et l’Europe à 2,7% en octobre 2024. La core inflation, qui exclut les éléments volatils comme l’énergie, « signale autour de quel niveau on va se stabiliser dans une perspective de moyen terme. » « On ne peut pas dire que les banques centrales ont achevé leur travail, certainement pas aux États-Unis. Mais il est parfaitement légitime de considérer qu'un travail très remarquable a été fait dans le domaine de la reprise de contrôle d'une inflation. »

 

Des défis persistent

La victoire contre l’inflation n’est pas encore totale. Jean-Claude Trichet a souligné plusieurs points importants :

  • Les baisses de taux doivent être opérées « de manière ordonnée, pour ne pas décourager les opérateurs économiques ».
  • La situation est « plus compliquée aux États-Unis qu’en Europe, parce que l’économie américaine est bouillonnante ».
  • Toutes les grandes banques centrales partagent désormais un objectif commun de stabilité des prix autour de 2 %, ce qui constitue, selon Trichet, « peut-être la plus importante réforme de facto depuis l’explosion du système monétaire international de Bretton Woods ».

 

Europe vs États-Unis : une comparaison souvent trompeuse

Les chiffres de croissance semblent souvent défavorables à l’Europe, mais Jean-Claude Trichet a appelé à une analyse plus équilibrée en prenant « une perspective mondiale et là aussi à moyen terme. »

 

Une politique budgétaire très expansive des États-Unis qui crée de l’artificialité

La politique budgétaire des États-Unis est « inimaginablement expansive », et crée « une certaine artificialité dans la différence de croissance que l'on observe. Il faut en être conscient. D'ailleurs, on voit bien cette artificialité dans les comptes externes américains très déficitaires. Donc, les Américains demandent au reste du monde de les financer. Tandis que du côté européen, nous sommes en excédent de balance des paiements courants au total, tout compris. Ce qui veut dire que nous, nous finançons le reste du monde. Il ne faut jamais oublier ça quand on compare les chiffres absolus aux États-Unis et en Europe » assène l’ancien gouverneur de la Banque de France.

 

En 2030, 0,8% de différence de croissance entre les États-Unis et l'Europe

Les projections prévoient une croissance moyenne de 2,1 % aux États-Unis et de 1,3 % en Europe d’ici la fin de la décennie.

 

Cela s’explique « par le fait que nous avons une économie en Europe qui est moins dynamique, qui finance beaucoup moins aisément les startups ». Jean-Claude Trichet ajoute un paramètre pour expliquer cette différence : « l’immigration colossale, facilement assimilable, qui était la marque évidemment de l'Amérique latine » qui « booste la croissance américaine ».

 

L’absence d’une fédération politique : le talon d’Achille de l’Europe

 

Jean-Claude Trichet a reconnu qu’il reste beaucoup à accomplir en Europe, mais il a également remis en question la pertinence d’une comparaison constante avec les États-Unis, « ce que j’ai fait moi-même », a-t-il admis.

 

Il a souligné une différence majeure : les États-Unis sont une fédération politique achevée, tandis que l’Europe, malgré ses avancées remarquables reste loin de ce modèle. « Nous avons fait des progrès fabuleux, mais nous n’avons ni armée commune, ni diplomatie commune, ni Trésor commun », a-t-il rappelé. « Au bas des instruments en dollars, qu’avez-vous ? Une seule signature : Treasury, le Trésor américain. Chez nous, qu'est-ce que vous avez au bas de l'euro ? Vous avez Trésor allemand, Trésor français, Trésor italien, Trésor espagnol, etc. »

 

L’euro : une monnaie unique dans un contexte non fédéral

Cette situation limite la profondeur et la liquidité des marchés européens par rapport à ceux des États-Unis. Et cela non « pas parce que le dollar est superstar par rapport à l'euro, mais parce que l'euro est une monnaie unique, mais unique dans un contexte qui n'est pas un contexte fédéral » martèle Jean-Claude Trichet qui poursuit « cette difficulté d'être dans une économie en principe complètement unifiée, avec une monnaie unique, mais sans aller jusqu'à être une fédération politique, explique que nous n'avons de marché unique des banques commerciales. » Ni des banques d'investissement. « Nous n'avons pas de marché unique des capitaux, ce qui est incroyablement paradoxal puisqu'on a créé l'Europe sur le concept du marché commun, puis du marché unique. »

 

Jean-Claude Trichet se dit « convaincu » que « nous aurons à aller à la fédération politique achevée » sans que celle-ci ne ressemble aux États-Unis. « Cela nous permettrait d'être à la table de la négociation mondiale. »

 

Deux indicateurs à garder en tête : la productivité par heure et les capitalisations boursières

 

Jean-Claude Trichet a contesté l’idée d’un défaut généralisé de productivité en Europe.

 

Comparé aux États-Unis, l’Irlande, le Luxembourg, la Belgique, le Danemark, les Pays-Bas et même l'Allemagne et la France sont « très proches ou au-dessus du niveau américain d'output per hour worked.

Selon lui, le faible PIB par tête en Europe s’explique en grande partie par des pays encore en phase de rattrapage. Autre facteur explicatif : « l'arbitrage n'est pas le même des deux côtés de l'Atlantique en ce qui concerne travail et loisirs. Et comme en France, nous sommes les champions du monde des loisirs, on peut comprendre effectivement que ça fasse une petite différence. »

 

Trichet s’est également dit « très frappé » par l’écart en termes de capitalisations boursières entre l’Europe, en excédent d’épargne, et les États-Unis, en déficit constant depuis 1991.

 

« En 2017, les Américains sont à 1 standard deviation du point moyen. En 2020, à 2. En 2023, à 3. Et Et au moment où je vous parle, dépendant de l'effet Trump, etc, on est proche de 4 du niveau européen. On n'a jamais observé ça dans le passé, depuis la Seconde Guerre mondiale. » Il a conclu : « J’ai un peu l'impression qu'il y a un effet de bulle. »

 

Pour retrouver l’intégralité de cette intervention et les réponses aux questions des participants, visionnez le replay du Paris iBanFirst Summit 2024.

 

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