Les crises ne s’enchaînent pas, elles s’accumulent. C’est ce qui est spécifique avec la période actuelle. Nous pensions être sortis de la Covid. Ce n’est pas le cas. Mi-mars, la Chine a mis sous cloche les 17 millions d’habitants de Shenzhen, la Silicon Valley chinoise, mais aussi son port qui est l’un des plus importants du pays pour le transport des conteneurs. Chaque année, 194 millions de tonnes de marchandises transitent par Shenzhen contre environ 66 millions de tonnes pour Le Havre, premier port de conteneurs en France. S’ajoute à cela la guerre en Ukraine et les tensions inflationnistes qui sont à des niveaux que nous n’avons pas connus depuis des décennies (3,6 % en France, 5,1 % en Allemagne, 8% en Belgique et 8,3 % en Hongrie).
Le transport maritime est le point faible de l’économie mondiale. Beaucoup l’ignorent, mais 90 % des produits que nous consommons transitent par la mer. Toutes les variations, à la hausse comme à la baisse, ont des conséquences sur les chaînes de production pour les entreprises. Depuis la Covid, le transport maritime est complètement déséquilibré. Cela a abouti à une explosion des coûts (voir graphique ci-dessous). En 2019, le prix moyen d’un conteneur de 20 pieds (soit 33 mètres cubes) était d’environ 1 200 €. Cela dépasse désormais 13 000 €. Parfois, cela peut même grimper jusqu’à 20 000 €. C’est intenable, même pour le transport de marchandises à forte valeur ajoutée (où les marges sont généralement plus importantes).
En début d’année, beaucoup espéraient une embellie du transport maritime. Il faudra attendre. Les facteurs de perturbations sont nombreux : politique zéro Covid en Chine, guerre en Ukraine, manque de conteneurs pour faire face à la forte demande et hausse du coût de l’énergie. Au mieux, il faudra attendre 2023 pour percevoir un début de décongestion portuaire et une baisse durable des taux de fret. Cela signifie que les entreprises qui sont dépendantes du commerce international, soit pour les intrants soit pour les débouchés commerciaux, vont devoir mettre en place des stratégies pour réduire les coûts (couverture de change lorsqu’il y a une thématique devise, répercuter le prix sur les consommateurs et/ou les sous-traitants, trouver de nouveaux fournisseurs etc.).
Les principales causes des perturbations du commerce international
Explication | À quand une amélioration ? | |
Politique zéro Covid en Chine | La Chine confine sa population aux moindres nouveaux cas de Covid. Cela s’explique par l’inefficacité du vaccin chinois par rapport aux vaccins à acides nucléiques (ARN) qu’on trouve en Occident et aussi par une volonté de contrôler la population. Lorsque la Chine ferme un de ses ports principaux, on estime que l’engorgement portuaire ainsi créé met six à huit semaines pour être résorbé, au moins. Les principaux ports chinois font actuellement face à un risque de congestion élevé : Shanghai (1er port mondial) et Ningbo-Zhoushan (2ème) et Qingdao (6ème). | 2023, au mieux |
La guerre en Ukraine |
L’Ukraine est une plaque tournante du commerce international. Elle produit 70 % du néon, un gaz indispensable pour la fabrication de micro composants qu’on retrouve dans des biens du quotidien, comme les smartphones et les voitures. C’est aussi un exportateur important de faisceaux de câbles (pour les automobiles) et de produits agricoles (blé, huile de tournesol, colza, maïs etc.). | Pas avant des années |
Les sanctions contre la Russie (en lien avec le point précédent) | Les principaux transporteurs maritimes ont décidé de suspendre la desserte des ports russes, ce qui renforce le désordre sur le marché du vrac. La Russie représente 3,7 % du commerce mondial dans les vracs secs (charbon, engrais, céréales, bois etc.), par exemple. Cela explique l’envolée attendue des prix des produits de construction ce printemps (+20 % selon les professionnels). En outre, les Russes représentent une part significative des personnels navigants de la marine marchande mondiale. Leur libre circulation pourrait être entravée à cause des sanctions. | Pas avant des années |
Le manque de conteneurs maritimes | Cela a commencé au début de la Covid et s’est accentué depuis. Le commerce maritime par conteneurs a augmenté de 6 % en 2021 tandis que la nombre de nouveaux conteneurs n’a augmenté que de 4,5 %. C’est insuffisant pour faire face à la demande. De nouveaux conteneurs devraient arriver sur le marché en 2023, faisant espérer une décrue de la congestion portuaire. | 2023 |
Hausse du prix de l’énergie |
Le sous-investissement chronique dans les énergies fossiles n’est pas survenu avec la Covid. Mais il s’est accentué à ce moment-là. Les investissements n’ont pas redémarré pour le moment, ce qui fait craindre des prix de l’énergie durablement élevés. |
Pas avant 2023-24 |
Risque de grève dans les ports de la côte ouest des Etats-Unis | Les ports et opérateurs portuaires de la côte ouest s’apprêtent à négocier des nouveaux contrats avec le syndicat des dockers. C’est une première depuis 2014. Étant donné le niveau de l’inflation aux Etats-Unis (7,9%), le syndicat risque de demander de fortes hausses de salaires. Le risque de grève est élevé. Si cela devait se produire, il y aurait un report du trafic venu d’Asie vers les ports de la côte est qui sont déjà sur-sollicités. | D’ici quelques semaines |
Le retour de l’autarcie ?
La crise de la Covid ainsi que les remous actuels ont mis à jour les vulnérabilités des chaînes de production mondialisées. La question de la relocalisation d’activités, propices et prioritaires, se pose de nouveau (particulièrement pour les secteurs automobile, des logiciels, de l’import et des biens de consommation) . En France, plusieurs candidats à l’élection présidentielle des 10 et 24 avril en ont fait leur cheval de bataille. Le leader d’extrême-gauche Jean-Luc Mélenchon (qui était le troisième homme de la présidentielle de 2017) propose la mise en place d’une taxe aux frontières pour limiter les délocalisations et l’importation. Cette mesure est toutefois contraire au droit communautaire. Le président français sortant, Emmanuel Macron, souhaite financer la relocalisation de quelques secteurs spécifiques : la production de médicaments et de nouvelles technologies dans le domaine médical (comme les exosquelettes). Cela se fera à coup de millions d’euros. En Allemagne, le débat est aussi présent depuis la Covid. Les entreprises du secteur industriel, touchées par les problèmes de logistiques persistants, ont opéré depuis peu une relocalisation des activités vers l’Europe de l’Est. C’était avant la guerre en Ukraine. Le sujet est présent dans tous les pays européens. Il n’y a pas de réponse facile. Plusieurs modalités de relocalisation existent : certaines peuvent être rapides (changement de fournisseur si l’offre existe), d’autres peuvent être plus longues, plus chères et plus ardues.
Mais, la relocalisation ne se décrète pas, elle se construit dans le temps. Elle engendre des coûts pour les entreprises…et pour les consommateurs qui devront les supporter. La création d’une base industrielle nécessite, dès lors, un acte politique fort, d’avoir une vision stratégique sur le long terme, et de travailler conjointement avec les chefs d’entreprise et de prévoir les subventions idoines. Il conviendrait notamment de bien étudier chaque filière, de répondre aux besoins concrets des entreprises, de lever les éventuels blocages réglementaires, d’identifier les zones d’accueil…mais, surtout, d’investir dans des secteurs d’avenir en s’appuyant sur le socle existant. Plutôt que de relocaliser, il faut localiser. Ce n’est pas en contradiction avec la mondialisation. Les chefs d’entreprise l’ont compris depuis longtemps.
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