Evergrande : décryptage des déboires d'un géant chinois

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Les négationnistes et les alarmistes se trompent. Les difficultés d’Evergrande ne sont ni un épiphénomène, ni le signe d’un effondrement à venir du système financier et économique chinois. Ce qu’il faut comprendre, c’est que ce qui se produit en Chine résulte directement de la politique mise en œuvre par le Parti Communiste chinois afin de limiter et de réduire l’endettement des acteurs privés et publiques. Cela a commencé il y a déjà plusieurs années et a abouti à de nombreuses faillites, notamment d’entreprises publiques. L’objectif est de mettre en œuvre une forme de discipline de marché. Si des entreprises ont fait des choix stratégiques erronés, elles doivent être prêtes à en assumer les conséquences, quitte à ce que cela conduise à une faillite. Si l’entreprise est systémique, c’est-à-dire que sa faillite pourrait entrainer d’autres pans du système économique et financier, le gouvernement central chinois intervient. Mais pas à n’importe quel prix.  

  • Les villes fantômes 

Evergrande n’est que l’arbre qui cache la forêt. Il existe des dizaines de milliers de plus petits promoteurs immobiliers en Chine qui vont finir par faire faillite. La situation actuelle ne fait que précipiter leur chute. Les errements du secteur immobilier chinois sont connus. Les villes fantômes où les logements nouvellement construits restent inoccupés en sont le symbole. En Chine, on estime que les logements vides pourraient permettre d’accueillir près de 90 millions d’habitants. A titre d’exemple, c’est comme si on transférait l’intégralité de la population de la France et de la Belgique dans ces logements.

Une pratique courante des promoteurs immobiliers a été, pendant de nombreuses années, de proposer des terrains à des prix nettement supérieurs à ceux du marché. Evergrande excellait dans ce domaine. Peu importait le prix d’achat des terrains puisque le risque était transféré aux acheteurs d’appartements et aux banques qui finançaient l’achat. Ce modèle a bien fonctionné aussi parce que les prix des logements ne faisaient que monter. Le gouvernement central devait intervenir pour y mettre un terme. Il ne pouvait pas permettre que la bulle immobilière continue de gonfler. Il ne pouvait pas permettre que les acheteurs subissent une moins-value énorme en cas d’effondrement de la bulle non plus.

  • Les canaux de transmission  

Certaines activités d’Evergrande feront l’objet d’un sauvetage du gouvernement chinois, par le truchement d’entreprises publiques. Il s’agit des activités qui peuvent entraîner des conséquences systémiques. Les autres feront faillites, telle l’activité de gestion de fortune. Des enquêtes comptables vont être conduites. La direction d’Evergrande sera traduite en justice, vraisemblablement. Certains hauts responsables disparaitront aussi. Mais la probabilité est faible que les déboires d’Evergrande provoquent des retombées internationales durables. Les engagements financiers du groupe concernent essentiellement des acteurs locaux. Le système financier chinois est peu ouvert. C’est une bonne nouvelle.

Selon nous, il existe trois canaux de transmission au reste de l’économie mondiale :
1) la croissance ;
2) les marchés financiers ;
3) les matières premières.
 

 1) La restructuration d’Evergrande prendra du temps. Le gouvernement chinois fera le nécessaire pour injecter via la banque centrale suffisamment de liquidité dans l’économie. Mais l’économie chinoise, qui cumule les contre-performances depuis quelques mois, va ralentir fortement à court terme. C’est inévitable. Le pays est plus dépendant de l'immobilier que l’Irlande et l’Espagne ne l’étaient avant la crise financière mondiale et bien plus dépendant que ne l’étaient les Etats-Unis au pic de 2005. Cela va entraîner des répercussions au niveau de l’économie mondiale. La contribution de la Chine à la croissance mondiale est de 30%. C’est l’équivalent de la contribution combinée de la zone euro et des Etats-Unis. Les économies qui sont directement dépendantes de la Chine par le biais du commerce international sont les plus vulnérables. Il s’agit de la Corée du Sud, du Japon, de l’Allemagne par exemple.

Il faut aussi s’attendre à ce que les perturbations observées au niveau du commerce international, comme l’accroissement des délais d’approvisionnement, s’accentuent à court terme avec la hausse des difficultés économiques et financières de la Chine. Le rebond économique puissant observé après le cycle de confinements aura été de courte durée. La croissance mondiale va ralentir, au moins au cours des deux à trois prochains trimestres.

2) Les marchés financiers sont un canal de contagion indirect. L’économie chinoise est encore un peu fermée. Ses marchés financiers le sont encore plus. En revanche, les entreprises étrangères qui tirent une grande partie de leurs chiffres d’affaires du marché chinois vont être pénalisées. On le voit déjà avec les entreprises françaises du secteur du luxe qui sont cotées et dont les niveaux de valorisation ont chuté ces dernières semaines.

On constate également que la demande en yen japonais et en dollar américain s’est accrue ces dernières semaines. Les deux monnaies servent de valeur refuge en période d’incertitude et permettent de réduire son exposition au risque. Le franc suisse, qui est également une valeur refuge, a moins profité du mouvement du fait du maintien des interventions sur le marché des changes par la Banque Nationale Suisse afin de réduire l’appréciation de la devise helvétique. A court terme, le yen et le dollar devraient être les grands gagnants des déboires économiques et financiers de la Chine.

3) Enfin, il faut s’attendre à ce que la demande en matières premières de la Chine chute à court terme. Le secteur de l’immobilier est un consommateur important d’acier, par exemple. Les prix risquent de baisser. A la marge, cela pourrait induire une baisse des devises matières premières, comme le dollar australien, le dollar néo-zélandais et le rand sud-africain. Ce dernier est d’ailleurs l’un des grands perdants du retour du risque sur le marché des devises, avec une baisse de près de 1,4 % en une semaine.

Evergrande n’est pas un accident de parcours pour la Chine.
La comparaison avec Lehman Brother, souvent évoquée, est erronée. La restructuration d’Evergande, qui est désormais une question de temps, symbolise la mise en œuvre d’un nouveau modèle économique et financier chinois dévoilé il y a plusieurs années de cela. Ce modèle repose sur une croissance plus faible accompagnée d’une baisse de l’endettement et d’une meilleure allocation des ressources vers les activités productives, comme le secteur de l’innovation. Ce n’est pas sans risque. La transition à l’œuvre est lente. Il y a de très nombreux autres Evergrande dans d’autres secteurs d’activité. Mais la Chine a un avantage décisif : le gouvernement central contrôle, directement ou indirectement, toute l’économie.

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